Le Conseil d’État a rendu sa décision dans le conflit opposant la Ville de Paris et les sociétés dites « dark stores » et « dark kitchen », en donnant raison à la ville. Et ce matin, le décret assimilant ces activités à des entrepôts est enfin paru.
Par Franck Lemarck
Hasard du calendrier : en deux jours, une décision du Conseil d’État et la parution d’un décret ont scellé le sort des dark stores et des dark kitchens, en clarifiant enfin le statut de ce qui était jusqu’à présent des objets juridiques non identifiés.
Pour rappel, les dark stores sont des lieux où sont stockées des marchandises susceptibles d’être livrées à des clients les ayant achetées sur internet ; et les dark kitchens, des cuisines où sont préparés des plats également commandés sur internet et destinés à la livraison et non à la vente sur place.
Le Conseil d’État donne raison à la Ville de Paris
Premier épisode hier, avec la parution d’une décision du Conseil d’État dans le conflit opposant la Ville de Paris aux sociétés Gorilla et Frichti. Rappel des épisodes précédents : les deux sociétés avaient acquis des locaux commerciaux, qu’elles ont transformés en dark stores ou en dark kitchens. En juin dernier, la Ville de Paris a, par arrêté, mis en demeure ces sociétés de « restituer ces locaux dans leur état d’origine » , dans un délai de trois mois, avec astreinte financière. La ville a en effet soutenu que, premièrement, ces sociétés ont changé la destination de leurs locaux sans autorisation ; et que, deuxièmement, elles les avaient transformés en entrepôts, alors que les règles d’urbanisme de la Ville de Paris interdisent « la transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée sur rue ».
Les deux sociétés ont attaqué cette décision devant le tribunal administratif, qui a suspendu les arrêtés de la ville, jugeant que ces locaux ne constituaient pas des entrepôts mais « des constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif ».
La ville s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’État, qui a rendu sa décision hier, a donné raison à la mairie de Paris et l’a autorisée à ordonner aux deux sociétés de restituer les locaux dans leur état initial.
Le Conseil d’État reconnaît en effet, d’une part, qu’il y a bien eu « changement d’activité non autorisé ». D’autre part, il juge sans ambigüité que les dark stores « constituent des entrepôts au sens de la réglementation en vigueur », puisqu’ils « stockent des marchandises pour livrer rapidement des clients et ne sont plus destinés à la vente directe ».
« Lever toute ambigüité juridique »
Le Conseil d’État n’a pas pris beaucoup de risques en rendant cette décision, puisque les projets de décret et d’arrêté sur ce sujet préparés par le gouvernement étaient déjà connus et en attente de publication. Cette publication est intervenue ce matin au Journal officiel : un décret et un arrêté relatifs aux « destinations et sous-destinations des constructions pouvant être réglementées par les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu » règlent définitivement la question.
Ces textes, avait expliqué le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires au moment de leur examen par le Conseil national d’évaluation des normes, le 1er décembre dernier, visent à « apporter des clarifications à la liste des destinations et sous-destinations (…) afin d’éviter toute ambigüité juridique, source d’insécurité, dans le cadre de l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme ».
L’arrêté introduit dans le Code de l’urbanisme de nouvelles définitions : il précise que la sous-destination « entrepôt » recouvre « les constructions destinées à la logistique, au stockage ou à l’entreposage des biens sans surface de vente, les points permanents de livraison ou de livraison et de retrait d’achats au détail commandés par voie télématique » . Voilà pour les dark stores.
Par ailleurs, le décret crée une nouvelle sous-destination « cuisine dédiée à la vente en ligne » , dans la destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire et tertiaire ». Il est également précisé dans le décret que les commandes peuvent être « soit livrées au client soit récupérées sur place » . Les dark kitchens ont donc désormais, elles aussi, une définition réglementaire claire.
Ces textes ont l’avantage de lever toute ambigüité sur la définition de ces nouveaux commerces, et de permettre désormais aux communes et EPCI d’intégrer des règles les concernant dans les documents d’urbanisme.
Réserves des élus
Les représentants des élus ont néanmoins émis des réserves sur ces textes lors de leur présentation devant le Conseil national d’évaluation des normes : s’ils ont salué la définition précise, dans l’arrêté, consacrée au dark kitchens, ils ont regretté que l’arrêté ne contienne pas également « une sous-destination spécifique aux points permanents de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par voie télématique ». Pour eux, l’assimilation des dark stores à des entrepôts, sans autre précision, « engendrera des difficultés dans l’application de la réglementation locale » . En effet, « l’assimilation de ces commerces à des entrepôts (…) ne permettra pas à l’autorité municipale de réglementer de façon précise ces activités, notamment dans les zones résidentielles ».
Le ministère a répondu que ce type d’activité « pourra être encadré (…) par une modification des documents d’urbanisme qui devra prévoir l’impossibilité pour ces activités de s’implanter dans cette zone ».
Notons enfin que les textes publiés ce matin ne se limitent pas aux dark stores et aux dark kitchens. Ils créent également une nouvelle sous-destination « lieux de culte » dans la destination « équipements d’intérêt collectif et services publics ». Et ajoutent, dans la liste des annexes au plan local d’urbanisme, quatre nouveaux documents : la carte de préfiguration des zones soumises au recul du trait de côte ; les périmètres où la pose des clôtures, d’une part, et le ravalement de façades, d’autre part, sont soumis à autorisation préalable ; et enfin les périmètres où le permis de démolir a été institué.